Anna Moï, l’insoumise

Anna Moï

 

Ecrivaine et styliste française d’origine vietnamienne, née en 1955

Dans l’émision « 28 mn » d’Arte, le 24 février 2021, elle explique le choix de son pseudonyme.  Moï  signifie « sauvage » ! Alors qu’au Vietnam, il est de bon ton, en ville, d’avoir la peau claire et de se protéger du soleil, Anna Moï rit en montrant sa peau sombre ! 

Les Moïs – les « sauvages », en langue véhiculaire – sont un peuple d’Indochine vivant dans les montagnes et sur les plateaux de la Cordillère Annamitique. Ils vivaient en tribus, insoumises aux colonisateurs et indépendantes des autres peuples vivant dans les villes et villages de Cochinchine ou d’Annam.

Les Moïs

Naissance à Saïgon et études en français

Anna Moï, de son vrai nom, TRAN Thiên Nga est née le 1er  août 1955 à Saïgon, au Sud-Vietnâm, un an après Dien-Bien-Phu et les accords de Genève qui instaurèrent la partition du pays de part et d’autre du 17ème parallèle, et conduisirent à la guerre civile entre le Nord communiste et le Sud capitaliste, jusqu’à la réunification en 1975, après la chute de Saïgon et le départ des Américains.
Sa mère est enseignante. Son père est officier et journaliste. Dès la maternelle, elle est scolarisée dans une école francophone.Après avoir obtenu le baccalauréat au lycée français Marie Curie de Saïgon, elle part pour Paris en 1972 pour  étudier l’histoire à l’université de Nanterre.

Styliste et polyglotte

Styliste et polyglotte

 Sa rencontre avec les stylistes Agnès Troublé (Agnès B.) et Philippe Guibourgé (Dior, Chanel) lui donne envie de travailler dans la mode. Dans les années 80, grâce à son activité de styliste, elle vit à Bangkok et Tokyo et voyage beaucoup devenant ainsi polyglotte : elle parle vietnamien, français, thaï, japonais, anglais et allemand.

Le passage à l’écriture

En 1992 elle s’installe dans sa ville natale, Saïgon, devenue Hô-Chi-Minh-Ville. Elle vit avec sa famille dans une maison traditionnelle, au cœur d’une bananeraie de la ville. Elle commence alors à écrire des chroniques en français dans une revue francophone vietnamienne. Prenant goût à l’écriture, ses chroniques se transforment peu à peu en de véritables nouvelles.
En 2001 paraît aux éditions de l’Aube L’Echo des rizières , recueil de truculentes nouvelles sur le Vietnam contemporain qui remporte un beau succès d’estime.

L'écho des rizières

Son premier roman, publié en 2004 chez Gallimard, Riz noir, rompt avec le style léger et humoristique de ses nouvelles. Anna Moï y raconte l’histoire tragique d’une ancienne camarade de lycée, détenue et torturée au bagne de Poulo Condor, au large de Saïgon, à la fin des années 1960.

Pourquoi écrire en français ?

Le français est la langue de ses études. C’est aussi celle de Rabelais ou de Chateaubriand.
« Je n’écris pas avec la langue des colons mais avec la langue de Chateaubriand. »
Et puis écrire en français, c’est pouvoir parler de tout, librement.  En vietnamien, il est difficile d’évoquer les questions liées au sexe. Ainsi  les mots « pénis » et « vagin » n’existent pas. Pour en parler, on a recours à des métaphores: « l’être solaire » pour le premier, « la voie des ténèbres » pour le second. Le Yin et le Yang !

Le Yin et le Yang

Le Yin, représenté en noir, évoque le principe féminin, la lune, l’obscurité, la fraîcheur, la réceptivité.
Le Yang, représenté en blanc, évoque le principe masculin, le soleil, la luminosité, la chaleur, l’élan, l’action. Donc le féminin c’est l’obscurité et le masculin la lumière ! Complémentaire peut-être mais pas très égalitaire.

Lors de l’émission de « 28 mn », elle rappelle qu’elle « n’est pas la première de ses compatriotes à écrire en français. Pham Van Ky a reçu le grand prix de l’Académie française pour Perdre la demeure, en 1961. »

Son inspiration est vietnamienne

Anna Moï écrit en français des histoires, dont la plupart prennent source dans son pays natal.
Ses nouvelles ont pour cadre le Viêt Nam contemporain, et sont de deux types : les unes montrent des situations décalées et humoristiques ; les autres partent d’un élément anodin pour aboutir à une dimension poétique, voire philosophique.
L’Écho des rizières : Nouvelles, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2001
Parfum de pagode : Nouvelles, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2004

Ses romans, marqués par les thèmes de la destinée et des rites de passage, offrent plusieurs niveaux de lecture : les évènements historiques se croisent avec des réflexions sur l’art (soie laquée, sculpture) et un culte de la nature.

Riz noir
Après Riz noir en 2004, Anna Moï a publié  :
• Rapaces, roman, 2005
• Espéranto, désespéranto : la francophonie sans les Français, essai, 2006
• Violon, roman, 2006
• L’Année du cochon de feu, 2008
• Nostalgie de la rizière, nouvelles, 2012 (poche, L’Aube)
• Le Venin du papillon, roman, 2017 (couronné par le Prix Littérature-monde, lors du Festival Etonnants voyageurs à Saint-Malo)
« Xuân c’est un peu moi qui arrive à la puberté en pleine guerre du Vietnam. J’ai vécu dans l’angoisse, il y avait le couvre-feu et en même temps, les hormones continuaient à exploser gentiment dans mon corps. »
• Le Pays sans nom. Déambulations avec Marguerite Duras, 2017 (poche, L’Aube)
Douze palais de mémoire, roman, 2021
Douze palais de mémoire

Pour le titre de ce dernier roman, elle reprend le concept entendu pour la première fois dans la bouche du Canadien Robert Lepage : le choix d’un lieu où l’on construit un palais de mémoire. Or le roman décrit la fuite, à bord d’une embarcation de fortune, d’un groupe de Boat People, ces réfugiés qui ont décidé de quitter le Vietnam après la victoire des communistes et la chute de Saïgon en avril 1975. L’auteure s’attache plus particulièrement à Khanh, et à sa fille Tiên, âgée de six ans. Khanh, dont le père a exercé les talents d’astrologue, a reçu de ce dernier les grandes lignes directrices de son thème astral – la configuration de ses douze palais – : « Finances, Immobilier, Carrière, Amis, Parents, Voyages, Destinée, Santé, Fratrie, Mariage, Enfants, Mathématiques ».
Les monologues du père alternent avec ceux de sa fille. Leurs voix reconstituent l’histoire qui les a menés là. Deux visions des événements se succèdent, celle de l’adulte, conscient de leur gravité, et celle, naïve, de la fillette.

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