Mission 12 – chapitre 4

Approches interculturelles

● Mardi 20 novembre – La Fête des enseignants, apothéose des festivités

Pas de cours ce jour-là. Des cadeaux. Des femmes en ao dai tout autour de moi. Cette année, l’Université a fait fabriquer des ao dai bleus à étrenner le jour de la Fête ! Toutes les femmes, sauf quelques « originales » portent le nouvel uniforme bleu et blanc! Mais les hommes s’habillent comme ils veulent !

Bich et Canh Linh portant le nouvel ao dai
Bich et Canh Linh portant le nouvel ao dai

10h30 – L’Amphithéâtre Vu Dinh Lien accueille professeur.e.s en exercice et retraité.e.s. Je revois avec plaisir des collègues avec qui j’ai travaillé en 2006 et qui sont maintenant en retraite.
Des étudiant.e.s assurent le spectacle de chants, de danse et de théâtre.
Quelques retraités commentent des photos du vieux temps. Je suis chaque fois frappée par le nombre de retraités masculins alors qu’aujourd’hui on cherche les hommes à la salle des professeurs.
Un montage de photos illustre la carrière d’un professeur qui part en retraite. Deux jeunes professeures y ont consacré beaucoup de temps. Hélas, le son est mauvais, il faudrait changer la sono !

Les retraités
Les retraités

Des professeures

Le buffet est copieux et les nourritures délicieuses. Assez rapidement, la sieste ou des activités diverses, vident la salle. Nous nous replions dans mon bureau, à quelques-unes, pour y boire le café, avant que je ne commence un atelier « Plaisir de dire ».

Nous nous replions dans mon bureau

● Un certain silence – On se reconcentre…

Après le 20 novembre et la frénésie qui s’est emparée du campus, les fins d’après-midi sont étrangement calmes. Pas de musique bruyante après 16h30 ni de soirées assourdissantes. La fatigue se fait sentir chez les professseur.e.s comme chez les étudiant.e.s. Certaines tombent malades. Surmenage ? On peut supposer aussi que la proximité des examens de fin de semestre invite à la concentration à la veille de la dernière semaine de cours.

Proximité des examens

Marie-Luce a terminé sa mission le 23 novembre. Je prévois d’aller observer 4 jeunes professeures de 1ère année pour évaluer les progrès : elles travaillent sur des exercices de révision qu’elles ont elles-mêmes sélectionnés. Je suis frappée par la facilité des exercices donnés auxquels les étudiant.e.s répondent vite et bien. Les progrès des étudiant.e.s sont tangibles et je m’inquiète de la sous-estimation de leur niveau. Après 240 h de cours ils/elles sont arrivé.e.s au niveau A2 alors qu’on leur propose des exercices pour débutant.e.s. J’alerte la responsable du groupe de 1ère année.

Trois étudiantes et un étudiant au tableau

Trois étudiantes et un étudiant sont envoyé.e.s au tableau pour traiter un exercice à la demande de leur professeure. A droite, Bao Nhung est tout fraîchement recrutée. Elle a 21 ans et ses étudiant.e.s, 17 ans.

Bao Nhung
Bao Nhung

Donner des exercices adaptés
Depuis la rentrée, les étudiant.e.s de 2ème année ont été invité.e.s à travailler sous la direction d’un.e professeur.e sur un sujet permettant une initiation à la recherche scientifique. En octobre, lorsque je prends connaissance de ce projet, je suis étonnée, car je sais que les étudiant.e.s sont loin d’avoir un niveau de langue leur permettant ce genre de travail. Beaucoup trop ambitieux. En novembre, la veille des premières soutenances, il est décidé qu’elles ne dureront que 7 mn alors que les étudiant.e.s se sont préparée.e.s pour 15 mn. Une grille d’évaluation est choisie.
J’assiste aux soutenances, un mercredi et un vendredi matin, pour constater ce que je craignais. Sauf exception, les étudiant.e.s n’ont pas fait de « recherche scientifique » mais des « copier-coller » sur Internet et sur des sujets « classiques » comme les réseaux sociaux, la vente en ligne, la mode… Sauf exception, les exposés sont difficiles à comprendre. Il arrive qu’on ne voie que les cheveux des étudiantes tournées vers l’écran sur lequel elles lisent leur Powerpoint. Dur ! Pour moi comme pour les professeures.
Une conclusion s’impose : ce travail est inadapté au public concerné à qui l’on devrait plutôt demander, modestement, un exposé construit, non lu, bien prononcé, sans trop d’images ni trop de mots sur le Powerpoint. Et même sans Powerpoint…pourquoi pas ?

En 2ème année, l’heure est aussi à l’entraînement pour les examens de fin de semestre. Une harmonisation s’impose entre les deux années : je préconise d’aller plus loin en 1ère année et de se donner le niveau B1 comme objectif. A consolider au premier semestre de 2ème année.

Einstein a Tokyo en 1922
Einstein a Tokyo en 1922

L’un des textes évoque une anecdote relative à Einstein de passage à Tokyo en 1922 pour une conférence: peut-être parce qu’il n’avait pas de monnaie, il donne à un coursier deux notes en allemand qui ont refait surface et vont être vendues aux enchères en 2017.
Sur l’une : « Une vie tranquille et modeste apporte plus de joie que la recherche du succès qui implique une agitation permanente».
Sur la seconde, le célèbre adage, emprunté à Lénine: «Là où il y a une volonté, il y a un chemin».

Un autre texte s’intéresse à la valeur du bac : bac pro et bac général. Un autre encore porte sur le danger de disparition de certains métiers comme facteur ou journaliste papier. Les problèmes de compréhension sont nombreux. Beaucoup de mots doivent être expliqués. Les professeures travaillent avec méthode.

● En Transsibérien

Les professeures participant aux séminaires ont été intriguées par le voyage de trois semaines que j’ai effectué pendant trois semaines, en septembre, à bord du Transsibérien, entre Moscou et Pékin. Elles ont souhaité que je leur présente mon expérience.
Je raconte la construction du Transsibérien entre 1891 à 1916 alors que seule une piste de cheval s’étendait à travers la Sibérie. Irkoutsk, à 5197 km de Moscou, célèbre cette année l’arrivée du train en 1898. Pour aller d’Irkoutsk à Vladivostok, il faut encore parcourir 4000 km et une soixante d’heures en train. Un pays immense dont le train reste un cordon ombilical pour les habitants et le transport des matériaux : charbon, bois, minéraux, produits chimiques…

Locomotive d un train en route vers la Sibérie
Locomotive d un train en route vers la Sibérie

Un peu d’histoire et de géographie, d’architecture aussi, sur la Russie et la Mongolie. J’explique de nombreux termes et notions : isba, datcha, bouleau, taïga, steppe, orthodoxe, coupole, iconostase, pope, minaret, mosquée, yourte… Les photos illustrant mon propos ont suscité des questions et des oh ! et des ah ! J’évoque la vie à bord du train : les repas, les haltes, les lectures et discussions…
J’associe Michel Strogoff à Irkoutsk, Andréi Makine à Krasnoïarsk, Dominique Fernandez à Ekaterinburg. Dans Tangente vers l’est, Maylis de Kerangal imagine une rencontre à bord du Transsibérien entre un jeune militaire qui veut déserter et une jeune Française qui fuit son compagnon russe.
Je parle aussi de révisionnisme à propos du discours tenu par la guide sur « l’assassinat » de Nicolas II et sa famille dans la villa Ipatiev d’Ekaterinburg le 16 juillet 1918. N’est-ce pas plutôt « l’exécution » ?!
Un siècle plus tard, le 15 août 2000, l’Église orthodoxe russe annonce la canonisation des Romanov pour « [leur] humilité, [leur] patience et [leur] douceur » ! Une église monumentale et un monastère ont été construits pour révérer les nouveaux saints du panthéon orthodoxe.
Nous avons réfléchi au discours des guides touristiques. Sujet particulièrement intéressant car plusieurs professeures ont été ou sont, occasionnellement, guides ; et plusieurs forment les étudiant.e.s aux carrières du tourisme.
Ce type de vacances étonne fortement les jeunes professeures qui n’ont pas cette habitude car pour elles le mot vacances est synonyme de repos, de détente.

Moine orthodoxe en prière devant la statue de la tsarine Alexandra Feodorovna à Ekaterinburg
Moine orthodoxe en prière devant la statue de la tsarine Alexandra Feodorovna à Ekaterinburg
Maison en bois aux fenêtres ouvragées à Irkoutsk
Maison en bois aux fenêtres ouvragées à Irkoutsk

● D’une conférence à l’autre

Mercredi 21 novembre – Conférence sur le Kieu

L’amphithéâtre Vu Dinh Lien est rempli d’étudiant.e.s « invité.e.s » à assister à la conférence. Un spécialiste français du Kieu vient parler d’une œuvre de Nguyen Du que les Vietnamien.ne.s connaissent bien.

L’amphitheatre Vu Dinh Lien

Nguyễn Du (1765-1820) est un mandarin de la dynastie Lê mais surtout un poète apprécié. Il est connu pour son poème d’amour le Kim Vân Kiều, adaptation d’une épopée chinoise. Chants douloureux d’une malheureuse destinée, celle de la jeune Kieu : mariée, malmenée et abandonnée, prostituée puis réhabilitée.
L’œuvre a été traduite dans de très nombreuses langues. Dès 1884, en français. La conférence d’Alain Guillemin (né en 1944, Docteur en sociologie et chargé de recherche au CNRS) porte sur les traductions du Kieu en français.
Une chanteuse commence par moduler les vers du Kieu. C’est très beau. Hélas, elle est vite interrompue par un membre de l’organisation parce que l’exposé introductif a dépassé le temps alloué.

Chanteuse de Kieu
Chanteuse de Kieu

Le conférencier lit son papier, son rythme est lent. La traduction en vietnamien allonge encore le propos. Le public décroche. On demande au conférencier d’accélérer…ce qu’il a du mal à faire.

Le conférencier lit son papier

Puis M. Hoang, traducteur du Kieu en russe parle brièvement et avec fougue. Je ne le comprends pas mais il est agréable à écouter et regarder.

M. Hoang, traducteur du Kieu en russe parle brièvement et avec fougue

Lundi 26 novembre – Conférence sur la Chine et l’Europe au 21ème s.
Claude Meyer est conseiller au centre Asie de l’IFRI, enseigne l’économie et les relations internationales à Sciences Po. Docteur en économie, diplômé en philosophie, sociologie et études asiatiques. Il a aussi travaillé dans le secteur bancaire jusqu’en 2000 comme Directeur Général Adjoint, Bank of Tokyo-Mitsubishi Ltd. Une conférence difficile à suivre selon plusieurs professeures.

Mardi 27 novembre – Conférence sur l’entretien d’embauche Des directeurs d’agence de tourisme vietnamiens ont expliqué aux étudiant.e.s la marche à suivre.
Le cours de linguistique que je devais donner ce jour-là a été annulé. Un autre, la veille déjà… alors que cette semaine est la dernière du semestre ! Problème de programmation.

Clémence à l’Espace France

Début novembre, une salle proche de mon bureau est rénovée avec diligence. Les murs sont repeints. On remplace le mobilier défraîchi par un mobilier plus attractif. Peu après, arrive une jeune femme affectée ici par l’Ambassade pour animer un espace destiné à affirmer la présence de la France. Clémence est volontaire du service civique, elle a un master d’histoire et prépare un master de FLE. Elle est présente pendant une vingtaine d’heures par semaine et ses fonctions consistent à donner des renseignements aux étudiant.e.s : sur les études en France – à l’heure où les coûts d’inscription viennent d’être multipliés par dix – ; sur les activités culturelles de l’Espace, centre culturel français de Hanoi. Elle envisage d’inciter les étudiant.e.s à la lecture, de projeter des films. Très bonnes idées mais quel écho rencontreront-elles ?
Nous déjeunons plusieurs fois ensemble. Je lui donne quelques pistes de nature à faciliter son insertion. Je lui fais rencontrer des professeures qui découvrent son existence… car l’information circule mal.

Clémence est volontaire du service civique

Lundi 26 novembre – Rencontre avec Nicole et Raymond, nos amis de l’AAFV

Nous ne nous étions pas vus depuis l’an passé mais nous avons des contacts fréquents puisque nous co-finançons la bourse attribuée à la jeune professeure depuis 2015. Les Préfassiennes avaient tenu à nous inviter et j’avais suggéré le restaurant Cha Ca de My Dinh, assez facile d’accès depuis l’Université, dans une ville où la circulation devient dingue. Du soleil toujours en cette fin novembre.
Après le repas nous avons discuté avec Thu Ha.de sa venue en mai prochain

Photo de famille devant le restaurant
Photo de famille devant le restaurant – De gauche à droite, Thuy Lise 2018 Thuy Ha 2019 qui a repris les cours après son accident à moto,
Régine, Raymond, Nicole, Tu Linh 2015, Huong 2017 qui attend son premier bébé et Yen 2016.

● Et toujours des repas entre ami.e.s

Avec les professeures du séminaire du jeudi consacré à l’élaboration des sujets de compréhension écrite. Nous allons dans un restaurant que j’avais apprécié l’an passé et où l’on mange bien mais qui, cette année, à la veille de la Fête des enseignants, est insupportablement bruyant. La conversation y est quasiment impossible.

Avec Thuy Linh et Anh Tu
Avec Thuy Linh et Anh Tu

□ Déjeuner chez Bich
Bich connaît ma famille puisqu’elle a passé la semaine de Noël 2017 à la maison. Elle venait de passer trois mois à Fribourg en Suisse pour sa thèse en didactique qu’elle soutient prochainement. Elle habite My Dinh, un quartier proche de l’Université qui présente l’avantage d’être calme. Nous trinquons avec du vin rouge avant de déguster les plats vietnamiens.

De gauche à droite, Canh Linh, Thuy frisée et Bich.
De gauche à droite, Canh Linh, Thuy frisée et Bich

□ Repas des 4 Françaises au restaurant Pho Ngôn
Pour se rendre de l’autre côté de Xuân Thuy, il faut prendre une passerelle d’où l’on a une vue plongeante sur le carrefour et les travaux en cours de la ligne de métro qui avancent lentement.

Ligne de métro

Comme Marie-Luce quitte le Département le 24 novembre , la direction a souhaité réunir les professeurs autour des quatre Françaises qui interviennent à des titres divers.
Ségolène donne des cours pour entraîner les étudiant.e.s à l’oral, en 1ère année. Elle est embauchée comme contractuelle et devra s’interrompre prochainement pour donner naissance à son premier enfant. J’ai présenté Clémence plus haut.
Restent les deux formatrices, Marie-Luce – accompagnée de son mari Alain, arrivé quelques jours plus tôt – et Régine. Le Doyen prend la parole pour remercier Préfasse.
Je ne sais qui a eu la bonne idée de commander des papillotes d’escargots aux herbes ? C’est délicieux ! Nous sommes nombreux et l’ambiance est joyeuse. Il fait chaud ! le thermomètre grimpe encore chaque jour vers 27° !

Papillotes d escargots aux herbes

Cette semaine, Marie-Luce a écrit aux jeunes professeures.
« Chères toutes et tous,
C’est avec beaucoup d’émotions que je pense à mon séjour de deux mois parmi vous.
J’ai beaucoup apprécié d’observer et de tutorer les jeunes professeures de 1ère année qui m’ont largement récompensée par leurs efforts et leur intérêt pour la pédagogie.
Mais je remercie également l’ensemble des collègues du département de Français pour leur accueil et les bons moments passés ensemble.
Merci particulièrement à ceux qui ont pu venir fêter mon départ vendredi 23 novembre à déjeuner.
J’espère revenir parmi vous l’an prochain avec autant de plaisir et rester en contact.
Mes pensées amicales »

Départ Marie-Luce

□ Pour arriver chez Toan, professeur de français qui a soutenu sa thèse à Bordeaux, il faut quitter la large avenue Kim Ma et s’enfoncer dans les ruelles typiquement hanoïennes. Il est assez rare de voir un Vietnamien aux fourneaux. Je connaissais les talents pédagogiques, la culture et l’esprit critique de Toan mais pas ses talents culinaires. Les pâtes au saumon et fruits de mer étaient délicieuses. Les enfants se sont régalés.
Et Jean-Pierre est reparti sur sa moto à contresens, comme un vrai Hanoïen !

Un homme aux fourneaux !
Un homme aux fourneaux !

Chez Toan

□ Déjeuner chez Canh Linh
J’apprécie les déjeuners entre femmes, chez l’une ou l’autre de mes amies. On peut prendre ses aises mieux qu’au restaurant, y manger presqu’aussi bien, profiter d’un moment de calme dans une société bruyante et parler de tout, sans tabou. Moment pendant lequel on se ressource…

De gauche à droite, Canh Linh, Bich, Xuân, Ngoc Lan, Phu
De gauche à droite, Canh Linh, Bich, Xuân, Ngoc Lan, Phuong

Après le lau, fondue au bouillon, dans lequel on plonge tranches de viande, crevettes, légumes… je m’installe dans un fauteuil et profite de quelques instants de détente avant de repartir au travail. Pour le dessert, on sert en général des fruits. Comme on me sait friande de café vietnamien, Canh Linh me prépare un café filtre que je déguste avec délice.

Canh Linh me prépare un café filtre que je déguste avec délice

Chapitre 3
Retour
Chapitre 5