Phạm Văn Ký

1910-1992
Grand Prix du roman de l’Académie française en 1961

Un écrivain oublié 

C’est Anna Moï qui m’a fait découvrir Phạm Văn Ký – fin février 2021- lors de l’émission « 28 mn » animée par  Elisabeth Quin sur Arte. Elle en parlait comme d’un Vietnamien écrivant, comme elle, exclusivement en français, et aujourd’hui méconnu.
Cherchant à en savoir plus sur Phạm Văn Ký, je découvre un site de qualité auquel je vous renvoie, me contentant d’en retenir quelques éléments.
Références du site :« À la découverte d’un écrivain oublié : Phạm Văn Ký (1910-1992) », Continents manuscrits [En ligne], 6 | 2016, mis en ligne le 31 octobre 2016, consulté le 12 avril 2021. URL : http://journals.openedition.org/coma/662 ; DOI : https://doi.org/10.4000/coma.662
L’article est signé de Giang-Huong Nguyen, chargée de collections Vietnam, Cambodge, Laos à la Bibliothèque nationale de France.

Les études à Hanoi

Issu d’une famille de mandarins, Phạm Văn Ký est le fils aîné d’une famille de douze enfants. Envoyé à Hanoi à partir de 13 ans, il fait ses études en français au lycée du Protectorat, lycée Albert-Sarraut où il découvre la littérature française. Cet établissement a été renommé lycée Tran Phu en 1965, dix ans après le retrait de la France. Il accueille aujourd’hui les élèves du « petit lycée » : classes du primaire et du collège. Selon son frère, le poète Phạm Hổ (1926-2007), Phạm Văn Ký écrit de la poésie et des romans en vietnamien dès son plus jeune âge.

Lycée Tran Phu, anciennement lycée Albert-Sarraut Rue Ha Ba Trung, district Hoan Kiem à Hanoï
Lycée Tran Phu, anciennement lycée Albert-Sarraut
Rue Ha Ba Trung, district Hoan Kiem à Hanoï

Les débuts dans le journalisme et la poésie au Vietnam

A 18 ans, il est rédacteur en chef de deux journaux, l’un à Saïgon, l’autre à Huê. Le journalisme est le seule façon de se faire connaître comme écrivain dans une société où le genre romanesque est quasi inexistant.
La poésie est – en revanche – l’art littéraire majeur. Dès l’âge de vingt ans,  Phạm Văn Ký obtient le premier prix de poésie aux Jeux floraux d’Indochine pour son poème en français « Investiture ». Ce poème sera plus tard publié dans le recueil Une Voix sur la voie en 1936.
Fidèle à la forme poétique française, l’auteur met en avant, dans ce premier recueil, son identité vietnamienne à travers les images, les symboles et les mythes extrême-orientaux. L’influence de Mallarmé y est sensible.
Avant son départ pour la France, Phạm Văn Ký occupe une place importante dans le monde littéraire vietnamien.  

Le choix du français

Selon Thuong Vuong-Riddick, « en choisissant d’écrire en français, il s’engage dans la voie des intellectuels qui ont compris qu’après 1862, date du début de l’occupation française, le pays doit s’occidentaliser pour pouvoir faire face à l’adversaire avec ses propres armes. »
L’élite vietnamienne place ses espoirs en Phạm Văn Ký comme en d’autres jeunes intellectuels pour mener le Vietnam vers une révolution sociale et culturelle qui, selon elle, serait la condition nécessaire pour l’indépendance du pays.

Aujourd’hui, rue Trang Tien avec l’Opéra à l’arrière-plan
Aujourd’hui, rue Trang Tien avec l’Opéra à l’arrière-plan

Une correspondance de Nguyễn Giang (1910-1969), peintre et poète vietnamien, révèle ce souhait :
« Eh, oui ! mon cher Ký, que faisons nous ? nous travaillons, n’est ce pas ? Et pourquoi travaillons nous ? Pour gagner notre vie… mais au fond, derrière ce but réel et immédiat, nos [sic.] visons tous encore un autre but : le bien du pays, le relèvement matériel et surtout moral et intellectuel de tout un peuple. C’est encore là une vérité que je conçois non par excès d’optimisme mais par une juste interprétation de nos activités. Eh bien, je pense que dans l’état actuel de notre société, ce qui peut le plus contribuer à ce relèvement, c’est un « Mouvement », quel qu’il soit, pourvu que ce soit un mouvement qui ait un caractère national. Un mouvement littéraire et artistique national, voilà la chose à laquelle j’ai rêvé depuis longtemps, à laquelle je travaille, à laquelle je me permets de vous associer par avance*. Ce n’est pas sans avoir longuement médité, je m’adresse à vous pour que vous [mot illisible] aussi, avec votre « plume alerte », à donner à ce mouvement toute l’ampleur désirable. J’ai beaucoup pensé à vous, à vous et à Nguyen Tien Lang qui êtes les deux plus beaux représentants de cette nouvelle famille d’écrivains annamites qu’on appelle « les écrivains annamites de langue française » […]. (Lettre datée du 4 juin 1936)
On ne sait pas ce qu’a répondu Phạm Văn Ký à cette lettre. Mais l’histoire ne voit pas se réaliser ce « Mouvement » que ce dernier a évoqué dans ses correspondances. Le souhait d’une évolution culturelle et intellectuelle pour relever le Vietnam de la situation de subordination est cependant réel chez les érudits vietnamiens nationalistes comme Nguyễn Giang et Phạm Văn Ký.
C’est le moment où Phạm Văn Ký nourrit l’ambition d’affirmer l’identité nationale devant le public de la métropole.

Phạm Văn Ký
Phạm Văn Ký

L’arrivée en France en 1939

En 1939, Phạm Văn Ký s’inscrit à l’université de la Sorbonne pour des études en littérature, puis prépare également, à l’Institut des Hautes Études chinoises, une thèse en sciences religieuses. La guerre interrompt sa thèse. Pour survivre, il doit être tour à tour professeur de français dans un cours privé à Neuilly et rédacteur à la préfecture de la Seine, tout en écrivant des poèmes et des nouvelles. Il cherche à se faire connaître du monde des lettres parisien, par des publications dans les journaux et les revues littéraires.
Le plus ancien article conservé dans son fonds d’archives date du 4 octobre 1945. Dans ses nouvelles, Phạm Văn Ký évoque les problèmes issus de sa double culture : le déchirement entre deux civilisations, la nostalgie de son pays d’origine, et de manière plus universelle, les conflits entre les différentes cultures.
Il publie aussi des articles de critique sur les arts en Extrême-Orient (Vietnam, Chine, Japon).  Il collabore à différentes revues importantes de l’époque comme Esprit, Les Temps modernes, Les Cahiers du Sud, La Nef, Synthèses, L’Âge nouveau, Les Nouvelles littéraires, Preuves, Paru

Pham Van Ky

La presse commence à parler de Phạm Văn Ký en 1946

En 1946, les journaux de tendance socialiste s’intéressent aux écrivains francophones en lien avec l’Union française qui prône la solidarité et l’égalité entre la métropole et ses colonies. C’est ainsi que le journal Le Populaire, organe du Parti socialiste SFIO, fait paraître en 1947, des interviews de Phạm Văn Ký, Léopold Sédar Senghor et Jean Amrouche, menées par le poète Georges-Emmanuel Clancier. La raison de ces interviews publiées dans la rubrique « Voix de l’Union française » est bien exprimée dans l’article portant sur Phạm Văn Ký : « A l’heure où l’Union française se trouve gravement et de toutes parts menacée, nous avons pensé qu’il serait utile de demander à un Annamite, un Sénégalais, un Berbère, leur opinion sur les rapports de leur pays et de la métropole dans le présent et dans l’avenir. »

L’Union française est le nom donné par la Constitution de 1946 à l’ensemble formé, d’une part, par la République française (France métropolitaine, départements et territoires d’outre-mer ainsi que l’Algérie), d’autre part par les territoires et États associés (anciens protectorats du Cambodge, du Vietnam, du Laos, de la Tunisie et du Maroc).

Phạm Văn Ký dramaturge

Dès 1944, il fait jouer trois courtes pièces en un acte incluses dans Fragments annamites par le théâtre du Centre national des étudiants de la France d’Outre-Mer.
Il publie également plusieurs articles sur le théâtre vietnamien et le théâtre chinois dans Le Magazine du spectacle en 1946, puis 1948. Il entre à la Radiodiffusion française en 1947 avec sa pièce radiophonique La Muraille de Chine.
Ses pièces de théâtre ont pour thématique les échanges culturels, en s’appuyant sur des contextes historiques précis. C’est le cas de la série radiophonique Premières Ambassades entre l’Europe et l’Asie. Notamment, la 4e émission : France-Viet-Nam : Alexandre de Rhodes qui relate les premières prises de contact, en 1627, à la cour vietnamienne du jésuite Alexandre de Rhodes, apportant les premières nouveautés venant de l’Europe. Dans le sens inverse et symétrique, la 5e émission : Viet-Nam – France : Phan Thanh Gian à la Cour de Napoléon III raconte le voyage du premier ambassadeur vietnamien Phan Thanh Gian se rendant en France en 1863 pour envisager la rétrocession de trois provinces de la Cochinchine.

Phạm Văn Ký romancier

Son premier roman – Frères de sang – paraît en 1947 aux Éditions du Seuil, un an après la nouvelle C’était mon frère de sang… parue dans la revue Esprit.

Le thème est celui du retour, imaginaire, au pays natal au cours duquel l’écrivain doit faire face à des confrontations intenses, entre son moi du passé et son moi du présent, entre sa culture d’origine et sa culture adoptée. (Texte intégral de la nouvelle disponible sur http//books.openedition.org>demopolis)
– Il continue à travailler comme auteur pour la Radio, à écrire des textes de théâtre tout en publiant des romans : Celui qui régnera (Grasset, 1954), Les Yeux courroucés (Gallimard, 1958), Les Contemporains (Gallimard, 1959).
1961, il remporte le Grand Prix du roman de l’Académie française pour Perdre la demeure.
Son objectif romanesque est le suivant : « Construire une histoire cohérente avec un centre d’intérêt, des péripéties et une progression dramatique. Ensuite, sous ce « prétexte », raconter une rupture, en dépeignant les mœurs et les coutumes d’une période en voie de disparition. Mais en même temps, veiller à ne pas tomber dans ce qu’on appelle, en mauvaise part, la couleur locale, et à ce que ces motifs dits folkloriques forment la trame même du conflit. En définitive, le but que je me suis proposé se réduit à intéresser, à introduire le lecteur européen dans un univers qui le dépayse sans le dérouter, et cela en lui montrant que, malgré des différences de surface, ou même des différences de comportement, l’homme se trouve toujours devant les mêmes problèmes, à quelque pays qu’il appartienne, et où qu’ils se posent. » Entretien au Soir, Bruxelles, en 1954.

– En 1964, dans son roman Des Femmes assises çà et là, Phạm Văn Ký propose une nouvelle manière de réfléchir sur l’interculturalité et la diversité culturelle. Selon lui, l’Extrême-Orient et l’Occident existent et évoluent dans une « signification d’ensemble » qui implique que toutes les choses apparemment disparates, les unes visibles, les autres invisibles, sont interdépendantes dans la logique de l’harmonie et de l’alternance entre le yin et le yang.

 L’oubli

– Phạm Văn Ký cesse de publier à partir de 1970. Seule sa pièce de théâtre Le Rideau de pluie est montée et jouée en 1974. Ce soudain silence semble être consécutif à son unique retour au Vietnam en 1970, comme membre  d’une délégation de Việt Kiều – Vietnamiens résidant à l’étranger – invités par le Front de la Patrie à la commémoration de la révolution d’Août (le 19 août 1945) et de la fondation de la République démocratique du Vietnam (le 2 septembre 1945).
– A son retour à Paris, il écrit un essai – Le Défi vietnamien – racontant son séjour au Vietnam, les rencontres qu’il y a faites, exprimant ses émotions après trente ans d’expatriation. Il y prend position comme observateur concerné par la réalité de la société de l’État socialiste du Nord du Vietnam.
– Son frère Phạm Hổ confirme le lien entre ce retour au Vietnam et le retrait de Phạm Văn Ký du monde éditorial : « Pendant ses dernières années, il a une vie difficile. Car de son retour au pays jusqu’à son décès, les grands éditeurs français ne publient aucun de ses manuscrits. Même pour un projet de roman qu’il a signé avec Gallimard avant son voyage au Vietnam, à son retour, il apprend que l’éditeur cherche un prétexte pour l’annuler… »
– Lui-même s’en explique dans une lettre : « Derrière moi, s’étire un désert de treize ans, qui ressemble à un nombre à longue queue, à partie décimale illimitée, sinon au « mauvais infini » de Hegel : l’infini dont on ne sort pas. Au vrai, l’auteur n’est innocent de rien. Je ne traverse pas ce désert-là : je le fais. Il y a que j’ai fort peu d’entrailles pour la course aux éditeurs et aux directeurs de théâtre. Il suffisait à ma peine d’avoir écrit à deux de ceux-ci et à trois de ceux-là, tandis que plus entêtés que moi, du moins en ce domaine, en accomplissent allégrement les deux tours complets, tels les bolides dans l’espace courbe d’Einstein. »
– Son attitude et ses prises de position déplaisent en raison de points de vue politiques non partagés, Après 1970, il se tourne vers le champ littéraire de son pays natal. L’auteur réapparaît dans les revues littéraires vietnamiennes avec des poèmes qui chantent le président Hồ Chí Minh, la reconstruction du pays socialiste, les combats héroïques du Viêt-Minh.
– En 1993, un an après sa mort, le Comité national des Écrivains vietnamiens regroupe ses poèmes parus au Vietnam depuis 1970 pour publier un recueil sous le titre Đường về nước, Le Chemin vers le pays natal. Pourtant, ce retour ne semble pas si facile. Les intellectuels et les écrivains vietnamiens ne parlent pas de lui, les dictionnaires et les anthologies d’écrivains vietnamiens ne le mentionnent pas. Jusqu’à la fin de sa vie, Phạm Văn Ký reste un « rôdeur de confins », tombé aujourd’hui dans l’oubli.

Régine Hausermann, d’après Giang-Huong Nguyen (mai 2021)

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