A Bac Giang – Octobre 2006

Un week-end à la campagne

Bac Giang - Carte du Vietnam

Je ne suis à Hanoi que depuis trois semaines mais la perspective d’un week-end en province me réjouit. D’autant que je suis invitée dans une famille, celle de Hoai, étudiante de 4ème année, qui a séjourné chez moi à Grenoble, en juillet, dans le cadre de la bourse offerte par Préfasse.

Samedi 7h30 – Hoai passe me prendre à Xuan Thuy, d’où nous prenons le bus 34 jusqu’à Long Bien. Sauna garanti malgré le petit matin. Après une courte attente, nous montons dans le mini bus pour Bac Giang [bac za] qui finit par sortir de la ville et file en direction du nord-est sur la nationale 1, ancienne route mandarine. Rizières, bananeraies et briqueteries colorent le paysage.
10h – Nous sommes arrivées. Le bus a parcouru les 60 km en deux heures. Après un arrêt devant l’église aux deux clochers, nous atteignons la maison de Hoai où nous attend sa grande famille : ses parents, sa grand-mère maternelle, son grand-père paternel, une sœur de sa mère accompagnée de son mari et ses deux fils de dix et seize ans, une autre tante fine cuisinière, un autre oncle…

Bac Giang - Hoai, ses parents et un cousin
Hoai, ses parents et un cousin

C’est une vraie réunion de famille, en mon honneur : « Comme au moment du Têt, me dit Hoai. » Nous dégustons les fruits au salon : mangue, raisin, melon. Puis le banquet commence. Nems de crevettes, cha ca (poisson grillé), crevettes aux légumes, nouilles, riz, soupe de crabe… C’est trop ! Je n’ai même pas à me servir, mon bol se remplit jusqu’à ce que je dise « pouce »! Les hommes carburent à l’alcool de riz ou ce qu’ils appellent du vin mais qui n’y ressemble guère. Entre deux gorgées de bière, je trinque avec les hommes en levant le petit récipient en porcelaine rempli d’alcool, ce qui les fait beaucoup rire. Au début du repas, je n’avais pas bien compris ce qu’ils buvaient car ils se servaient dans une bouteille de La Vie (l’eau minérale locale), pour tromper l’ennemi !

Bac Giang - Joyeuse ambiance lors du banquet
Joyeuse ambiance lors du banquet

13h30 – C’est l’heure de la sieste. Je m’endors sur la natte, à la dure.
14h – Nous partons en excursion en minibus, jusqu’à la cascade Suối Mỡ où il fait étonnamment frais. Pourtant l’eau est chaude comparée à celle des torrents alpins. Des groupes de jeunes gens glissent sur les rochers. La campagne est belle : rizières, cultures
maraîchères, buffles, chapeaux coniques dans les champs, collines boisées et ciselées… Après la pollution et le bruit de Hanoï, le retour à la nature !

Bac Giang - La cascade Suoi Mo a Bac Giang
La cascade Suối Mỡ à Bac Giang

17h – La nuit tombe. Le soleil embrumé par les vapeurs montant des rizières finit par s’éteindre.
18h – Il fait nuit. Le chauffeur nous ramène à la maison, en slalomant entre les obstacles. Comme je manifeste mon émotion, le chauffeur propose de me passer le volant, connaissant ma réponse. Hoai me dit qu’il a vécu à Prague et qu’au retour au Vietnam, il avait peur de conduire !
Moment de détente avant le dîner. Douche. Mise à jour de mon journal. Bruits de cuisine.
C’est l’heure du banquet du soir. Nourriture raffinée et abondante. Au menu, salade de papaye – j’adore – crevettes sautées, poissons, soupe, fruits… et La Vie bien sûr !
Hoai me propose un tour à moto. La ville est calme. L’air nous rafraîchit. Visite à sa cousine – sa grande sœur dit-elle – qui a un bébé de treize mois. Visite à la professeure de français qui l’a inscrite au concours national où elle a terminé deuxième. Je découvre que les concours et les distinctions sont inhérents à la culture vietnamienne. J’avais remarqué les photos et les diplômes accrochés dans le salon familial. Nous rentrons.

Bac Giang - Accrochage traditionnel

Dimanche à Lang Son

Phu Lang Thuong ancien nom de la ville de Bac Giang, était le poste français le plus avancé sur la route mandarine qui évoque le reportage de Roland Dorgelès publié en 1925. Cette route fut commencée au 19ème siècle, sous le règne de Gia Long (1762-1820), fondateur de la dynastie des Nguyen, dont la capitale fut Hué (Annam) jusqu’en 1945. Elle a été prolongée et élargie et traverse le Vietnam du sud au nord, de Cau Mau à Lang Son, sur plus de 2000 km. Son nom vient des mandarins (les hauts-fonctionnaires) qui l’empruntaient pour assumer leurs charges.

Lang Son occupe une position stratégique. « Verrou de la Chine », la ville a été le théâtre d’affrontements sanglants dans l’histoire.
Septembre 1940, pendant trois jours, les troupes japonaises massacrent les Français de la garnison, ainsi que de nombreux civils. Plus de 800 morts.
Mars 1945, en déroute dans le Pacifique, le Japon décide d’investir toute la péninsule indochinoise et d’anéantir les forces françaises. Dix mille soldats japonais montent à l’assaut de la citadelle. 1 128 soldats morts, français et indochinois.
Octobre 1950, le général Giap s’empare de Dong Khé, à mi-chemin entre Lang Son et Cao Bang puis de Lang Son, ceinturé d’énormes forts et réputé imprenable. On considère que la guerre d’Indochine a été perdue en octobre 1950 car les verrous vers la Chine ont sauté, permettant au Vietminh d’acheminer les troupes et approvisionnements nécessaires par les « Portes de la Chine » que sont Lang Son, Dong Khé et Cao Bang.
Du 17 février au 16 mars 1979, Lạng Sơn, Cao Bang et Lao Cai sont pratiquement rasées par les bombardements-surprise des Chinois, sur fond de rupture sino-soviétique. Cette guerre sino-vietnamienne, qui a fait des dizaines de milliers de victimes civiles, est encore bien présente dans l’esprit de mes amis Vietnamiens.

Bac Giang - La guerre-éclair sino-vietnamienne de 1979
La guerre-éclair sino-vietnamienne de 1979
Bac Giang - Lang Son en mars 1979
Lang Son en mars 1979

Après un petit-déjeuner local (soupe de bœuf et carottes) aux alentours de 6h30, nous partons en minibus sur la nationale 1. Direction Lang Son à la frontière chinoise. La route passe entre les montagnes boisées et les rizières. La végétation est luxuriante. Après deux heures de route, nous franchissons le monumental portail du temple Dong Dang. Le père de Hoai prépare les offrandes. Sur les douze membres de la famille, certains paraissent fervents, d’autres moins.

Bac Giang - Devant le temple Dong Dang
Devant le temple Dong Dang

Passage obligé, le marché de Lang Son, un immense bazar proche de la Chine, où on trouve de tout, pas de la meilleure qualité. Devant le marché, des paysannes proposent leurs fruits et légumes, leur viande et volaille sur pied.

Bac Giang - Marchandes dBac Giang - e légumes verts - Lang Son
Bac Giang – Marchandes de légumes verts – Lang Son

C’est l’heure du déjeuner. Un plat s’impose, le canard laqué spécialité de la ville, que la mère de Hoai achète et apporte au restaurant. Je l’ai déjà constaté avec étonnement, ici on peut apporter son manger au restaurant, moyennant peut-être une redevance. Il me reste beaucoup à apprendre.

Bac Giang - La mère de Hoai choisit le canard laqué
La mère de Hoai choisit le canard laqué

Au programme de l’après-midi, la visite de deux grottes dont l’une abrite une pagode et de nombreux autels, comme souvent. La grotte des Trois Purs (Tam Thanh Dong) est l’objet d’un rituel qui attire les femmes demandant aux dieux argent, santé, fécondité et bonheur. En s’enfonçant dans la grotte et en grimpant un peu, on a un joli point de vue sur les rizières. Des effets de lumières vertes, jaunes, rouges, jaunes, transforment le lieu mais lui ôtent de son naturel.

Bac Giang - Des femmes hmongs proposent des herbes et racines
Des femmes hmongs proposent des herbes et racines

Dans la deuxième grotte – Nhi Tan – je parle avec une vieille dame qui a appris le français en 1940. Puis nous cheminons entre les parois souvent étroites, quelquefois basses de plafond, jusqu’à ce que nous débouchions dans une large salle où ruisselle une cascade. Ici et là des bouddhas accrochés à la paroi.

Bac Giang - Femmes en prière - Bouddhas dans la grotte Nhi Tan
Femmes en prière – Bouddhas dans la grotte Nhi Tan
Bac Giang - Vue sur la campagne du haut de la grotte Tam Thanh Dong
Vue sur la campagne du haut de la grotte Tam Thanh Dong

17h30 – C’est l’heure de rentrer, la nuit tombe. Les chauffeurs de bus se font un signe de la main lorsqu’ils se croisent. Les automobilistes se font aussi des appels de phare pour signaler la présence de la police.
A l’arrivée à Bac Giang, dîner dans un restaurant en plein air, au bord d’un lac et disposant de tables et de chaises hautes : soupe aux anguilles, beignets de riz craquants, le reste du canard laqué. Vient le moment du départ. Je m’étonne que nous restions dans le même minibus et que tous – à l’exception de la grand-mère maternelle – nous accompagnent à Hanoi.
Hoai m’explique le mystère : la famille profite du minibus mis à disposition par l’entreprise où travaille son frère pour rendre visite à une tante hospitalisée pour hypertension. Ici, seuls les soins médicaux sont à la charge de l’hôpital, pas l’intendance, ce qui nécessite la présence constante de membres de la famille pour les repas, la toilette… Rendre visite aux malades est aussi un devoir.
Après nous avoir déposées à mon hôtel proche de l’université, le chauffeur repart à l’hôpital pour ramener la famille à Bac Giang, Hoai reprend sa moto pour rentrer à la cité universitaire.
Un week-end formidable à la campagne et en famille !

Bac Giang - La famille de Hoai entoure la grand-mère maternelle
La famille de Hoai entoure la grand-mère maternelle

RH
Août 2017

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