Conte d’amour un soir de pluie

Conte d'amour un soir de pluie

Conte d’amour un soir de pluie
De Nguyen Huy Thiep, né en 1950
Recueil de 8 nouvelles, de 10 à 50 pages, écrites à Hanoï en 1998 pour trois d’entre elles, traduites par Kim Lefèvre et publiées en 2000. Éditions de l’Aube, poche.

Cinq  des huit nouvelles sont écrites à la 1ère personne et jouent sur la proximité avec le lecteur. Le narrateur y est tantôt un instituteur, tantôt un poète, tantôt un homme d’action, tantôt un enfant ou un adolescent. L’action se déroule le plus souvent à la campagne ou à la montagne, dans le « Vietnam profond ».

Ce qui importe, c’est de rendre compte des  peines, des espoirs, des amours des hommes, des injustices qui leur sont faites, du poids de la  société et de la famille, aujourd’hui comme avant…avec lucidité. La récurrence de la figure du poète dans les nouvelles éclaire le rôle que lui attribue Nguyen Huy Thiep. Citant Aragon, il s’excuse de n’avoir à nous « offrir que cette sombre lumière ». Merci à l’écrivain de nous aider à y voir plus clair.


1 – Conte d’amour un soir de pluie

Marche montagnard
Marché montagnard

Le narrateur nous transporte dans le Nord-Ouest du pays du temps où il était un  jeune instituteur naïf, dans un village reculé, à proximité de Muong-La. Un jour d’été, au marché, il se fait voler sa montre et se retrouve compromis dans l’évasion d’un bandit local.
De retour à l’école, il trouve les lieux occupés par …le bandit et sa complice.
Très vite, le jeune homme découvre que ses « hôtes » ne sont ni obtus, ni naïfs, comme le pensent beaucoup de Viets à propos des minorités ethniques.
Le bandit, Bac Ky Sinh , issu d’une illustre famille, raconte comment et pourquoi il est devenu un trafiquant d’opium entre le Laos et le Vietnam.
Puis il part vers la Thaïlande après s’être fâché avec la jeune fille.
25 ans plus tard, le narrateur retrouve le bandit devenu guitariste et chanteur !
● Un récit (25p) réaliste qui aborde des questions sensibles : la « colonisation » des Thaïs par les Viets, les difficiles conditions de vie des minorités ethniques, une justice expéditive qui précipite le héros dans la délinquance. Mais aussi une réflexion sur la force de la passion amoureuse.

2 – Le Coeur d’une mère

Dang

Dang est orphelin  de mère à 2 ans, son père remarié ne s’occupe plus de lui, ses grands-parents l’élèvent  sans amour. Dang ne cesse d’imaginer ce que sa mère aurait fait, dit, comme elle l’aurait aimé, il se sent seul…jusqu’à ce que Thu, sa jeune voisine devienne une mère de substitution. Ils ont 7 ans et se moquent des railleries des autres enfants. Mais les grands-parents accusent Dang d’être renfermé et s’en prennent à Thu. Désespéré, Dang veut se jeter sous les roues du tram mais Thu le sauve in extremis et a les jambes broyées.
● Récit (10p) à la 3ème personne sur le désir d’amour, la quête du bonheur. Émouvant.


3 – Cri déchirant de l’aigrette qui s’enfuit

Aigrette

C’est un poète qui parle : il cherche l’embarcadère Van où il a rendez-vous et où il n’est pas venu depuis 7 ans. Les temps ont changé, l’endroit n’est plus si calme. Le poète écrit quelques vers pessimistes pour 2 adolescents qui attendent le bateau comme lui à l’auberge.
Des bateliers viennent chercher le poète : hélas, lui révèle l’aubergiste, Xoan, la jeune fille à qui il avait promis d’être présent à son mariage, s’est suicidée il y a 3 ans !
Tous partent au moment où une aigrette s’enfuit en poussant des cris déchirants.
Des années plus tard, le jeune poète devenu professeur évoque la condition des poètes et termine sur une citation d’Aragon : « Je n’ai à vous offrir que cette sombre lumière ».
● Fable (11p) sur la fonction du poète, celui qui dérange, qui cherche la vérité, refuse d’entretenir les illusions, se met en danger.

4 – N’est-ce pas beau la vie ?

Enfant

Dans une maison perchée, loin de tout, un enfant de 6 ans attend que sa mère revienne du marché d’où elle va rapporter cahier et crayon pour son entrée au CP. Il regarde le manège d’une guêpe, pense à sa mère au ventre rond, à l’oncle Hao, violent, qui la traite de putain, à son père, parti courir le jupon.
Le temps passe, il  a faim, il panique, s’évanouit, est d’une pâleur mortelle.
Vers midi, la mère hydropique revient du marché, monte péniblement les marches, insultée par l’oncle, plus que neuf marches…que va-t-elle trouver dans la maison ?
● Récit (13p) métaphorique de la condition humaine, de la souffrance intrinsèque à la vie, au registre tragique et au titre ironique.


5 – La Fille du génie des eaux

La fille du géie des eaux

1ère partie – Chuong, raconte la naissance de Mère Ca, la fille du génie des eaux, dont les histoires ont bercé son enfance laborieuse de petit paysan. A 14 ans, il n’a plus guère le temps de penser à Mère Ca, il laboure, fabrique des briques. A 16 ans, il est nommé gardien du champ de cannes à sucre, il a le temps de lire, rêve de Mère Ca…A 19 ans, sa coopérative l’envoie étudier la comptabilité : il est la risée de ses camarades mais Phuong, une jeune professeure lui explique l’économie. Un jour, il la retrouve pleurant au bord du fleuve, elle a été trompée par un homme. Hors d’elle, elle lui jette sa chaussure à la figure, puis se calme et le met au défi de jeter sa sacoche au fleuve, d’arracher une clôture. Il le fait, elle l’embrasse, il est heureux.

2ème partie – Dix ans plus tard, redevenu paysan, il part à la recherche de Phuong. Il désire aussi voir la mer, on approche de l’an 2000 et, là-bas, il ne risque pas de voir des ondines !
Il loue sa force de travail dans les rizières où il est victime des mœurs patriarcales, des préjugés sexuels et moraux. Bientôt, il ne trouve plus de travail, erre sur les digues, affamé, transi. Mère Ca lui apparaît, ils se dévorent mutuellement mais aucun ne veut aliéner sa liberté. A Son Tay, sur les hauts plateaux, il fabrique six millions de briques pour une femme qui…mourra avant de le payer. Mais avant le Têt, miracle, alors qu’il était désespéré, il rencontre Phuong…enfin, une Phuong, qui lui offre à manger et l’accueille dans l’église dont son père est bedeau. Mais il ne veut pas s’arrêter auprès de cette jeune fille, avatar de la fille du génie des eaux, elles-aussi. Il part vers la mer qu’il a aperçue du haut de la statue du Christ de 2m de haut qu’il repeignait.

3ème partie – Bien longtemps après, Choung dialogue avec lui-même, essaie de faire émerger la vérité, à la façon de Nathalie Sarraute dans Enfance. Il revoit sa jeunesse, l’exode rural après les guerres, les populations déplacées mais refuse de se lamenter. Il est la proie d’une nouvelle Phuong, la patronne de la maison qu’il construit. Belle jeune femme de 30 ans, elle le fait monter dans sa chambre où elle l’attend nue et le congédie après l’amour. Puis elle exige davantage : que Chuong satisfasse deux de ses amies et lui raconte leurs ébats. Mais le mari revient et Chuong retrouve sa chambre au fond du jardin, épuisé, au point de ne pouvoir satisfaire la requête de May, la jeune servante : la déflorer avant qu’elle couche avec le maître qui lui  a promis beaucoup d’argent.
Il part vers la mer, continuant sa quête. Ce sera bientôt l’an 2000.

Le fumeur

● Un récit (50p) d’apprentissage, qui dure le temps d’une vie : une désillusion chasse l’autre, à celles de l’enfance succèdent celles de la jeunesse puis celles de l’âge mûr, comme un fleuve inépuisable. La 3ème partie, très noire, insiste sur le cynisme et la perversion des riches. Pourtant les rêves, en changeant de forme, persistent : rêve qu’ailleurs ce sera mieux, rêve qu’une femme idéale l’attend quelque part, vers la mer. Devra-t-il se noyer pour la trouver ?


6 – Nuyen Thi Lo

Nguyen Trai - 1380-1442

La nouvelle évoque des faits historiques datant du 14ème s.: l’amour entre l’héroïne éponyme et Nguyen Trai, lettré, poète et stratège sous le règne de Lê Thai To ( Lê Loi) puis Lê Thai Ton.
Elle reconstitue le moment magique de la rencontre entre le lettré, sortant de sa retraite et cette toute jeune fille, qui se révèle intelligente et cultivée. Affinités électives : ils partagent les mêmes idéaux, les mêmes désirs. Mais Lê Thai Ton qui accède très jeune au pouvoir, est amoureux de Thi Lo. Il préfère se laisser guider pas les nobles corrompus et flatteurs et Nguyen Trai est condamné à mort.
● Nouvelle (13p) historique centrée sur l’opposition du bien et du mal, sur l’idéal tenu en échec par les réalités triviales.


7 – Pluie à Nha Nam

Dê Tham alias Maréchal Tham
Dê Tham alias Maréchal Tham

Le narrateur s’adresse au lecteur à qui il va raconter une histoire qui concerne Hoan Hoa Tam (Dê Tham), héros du 19ème s. qui résista aux Français mais fut assassiné par l’un des siens.
Nguyen Huy Thiep retrace la visite faite par Dê Tham aux Français qui l’ont invité à un banquet à Bac Giang. Doit-il y aller ? Est-ce un traquenard ? Dê Tham décide de s’y rendre.  En chemin, il  rend visite à Maître Hoat, un pauvre poète, dont le fils souffre parce que les parents de sa fiancée ont repris leur parole pour donner leur fille à un vieux riche.
Dê Tham s’ennuie lors du banquet mais remarque Xoan, la jeune fille promise au fils de son maître, il lui parle et quitte rapidement cette ville « exsangue, misérable, proche de la barbarie, comme tout le Vietnam en ce début de 20ème s. »
Sur le chemin, Xoan l’attend, ne veut plus le quitter mais il l’emmène chez Maître Hoat, non sans regretter d’avoir laissé passer cet amour. Le lendemain, il repart à l’action et attaque un poste français.
● Les épisodes du récit (15p) sont coupés par des poèmes qui éclairent les pensées du héros et celles du narrateur : poèmes sur le carpe diem, sur la lutte contre la fatalité, les paroles qui réveillent la conscience, la vertu et le sens de la vie. Comme la nouvelle précédente, Pluie à Nha Nam est un hommage aux lettrés, aux hommes vertueux qui choisissent l’engagement au détriment de leur bonheur personnel…non sans états d’âme. Un des soucis du narrateur étant de démystifier les héros qu’on assimile à tort, à des surhommes.
Dê Tham (1858-1913), surnommé « le tigre du Yên Thế », est un nationaliste vietnamien qui fut l’un des chefs de l’insurrection contre la colonisation française, dans les premières années de l’Indochine française.


8 – Nostalgie de la campagne

Tambour de Dong Song
Tambour de Dong Song, âge de bronze

Nhâm, 17 ans, paysan de la région de Dong Son, route n°5 doit aller chercher sa cousine Quyen à la gare à vélo. Voilà longtemps qu’il n’est pas allé à la gare, distante de 10 km. Quyen est  en vacances à Hanoï, de retour des États-Unis où elle étudie. Elle vient rendre visite à sa famille pour trois jours, a des avis sur tout, notamment l’économie et trouve que le travail des champs est aisé après l’avoir pratiqué… quelques minutes !
Minh, 13 ans, la sœur de Nhâm est renversée par un camion, sa mère se tord de douleur. Quyen rentre à Hanoï.
Le récit principal est entrecoupé d’histoires qui l’éclairent : l’histoire de Maître Quy, l’ancien instituteur et de ses deux femmes ramenées de Haïphong, celle de Oncle Phung qui est parti pour faire fortune mais est rentré meurtri, pourri…
Il se referme sur cette phrase : « Demain, j’aurai 17 ans. 17 ans, n’est-ce pas le plus bel âge de la vie ? »
● Un récit (28p) poignant malgré les contrepoints ironiques, qui révèle le fossé entre Vietnamiens des villes et Vietnamiens des champs, entre jeunes éduqués et jeunes travailleurs.

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