La Nuit nous a surpris de Kien Nguyen

La Nuit nous a surpris de Kien Nguyen, né en 1967

Récit autobiographique d’un amérasien, traduit de l’américain par Erika Abrams, publié chez Denoël en 2001, collection 10/18, 380 pages.

Jaquette La nuit nous a surpris

L’Avertissement de l’auteur est clair, son ouvrage n’est pas un roman mais un récit de vie :

« Ce livre est le récit de mon enfance et de mon adolescence au Vietnam, inspiré de l’image très vive que je garde en mémoire et complété grâce aux souvenirs de ma mère et de mon frère. »

Ce livre bouleversant nous fait revivre l’enfance et l’adolescence de Kien, de 1972 à 1985, au Sud Vietnam, entre Nha Trang et Saïgon, en 51 chapitres courts regroupés en 7 ensembles de longueur inégale et datés.

1972 – 1 chapitre, 7 pages – Nha Trang, le 12 mai 1972, 19h
La vie insouciante

C’est le jour anniversaire de Kien, le jour de ses 5 ans et la maison se prépare à une brillante réception. Ici « tout est luxe, calme et volupté ». Dans la magnifique villa Nguyen, isolée de la pauvreté environnante par un long mur d’enceinte, les domestiques s’activent tandis que la mère se maquille, qu’on livre des caisses de champagne…

La vie insouciante

1975 – 16 chapitres, 140 pages – Nha Trang, Saigon, Nha Trang
La descente aux enfers

L’arrivée des troupes communistes pousse Khuong, la mère de Kien, à fuir le pays. Elle est riche et a deux enfants métis nés de deux pères américains. Elle craint les représailles. Elle part pour Saigon avec Kien 8 ans et Jimmy 5 ans, ses parents âgés, Lam son amant et Loan la nounou âgée de 18 ans. Khuong et Loan sont enceintes de Lam, gigolo sans scrupule.

Mais l’hélicoptère qui venait les chercher à l’ambassade des Etats-Unis où ils avaient trouvé refuge est abattu. Saigon est prise par le Viet Cong. La famille se cache quelques jours dans une cave, survit grâce à Loan qui réussit à se procurer des denrées au marché mais doit repartir à Nha Trang sur ordre des autorités communistes.

La villa Nguyen est saccagée, souillée, le jardin est labouré, détruit et la famille sommée de quitter les lieux. L’ancien jardinier, Tran, est devenu un chef dans l’administration communiste et prend sa revanche contre sa patronne qui est une « capitaliste et donc une ennemie ». La famille est expropriée et doit aller vivre dans une bicoque de trois pièces, au milieu des rizières. C’est le début d’une longue descente aux enfers.

La famille est en butte à l’hostilité des autorités, des voisins mais aussi de la famille de la sœur de Khuon qui vit pourtant dans une maison proche de la bicoque, payée par Khuon. Les enfants apprennent le sens des mots  « métis » et « bâtard », sont malmenés par leurs cousins et moqués par les écoliers. Le monde semble gouverné par la haine et les bas instincts. Lam qui les avait quittés à Saigon pour essayer de s’enfuir seul reparaît et s’impose dans la bicoque malgré le refus de Khuon, continuant sa vie de parasite. Loan s’engage dans les « Jeunesses patriotiques ». Khuon considérée comme une « putain » fait son autocritique devant les gens du quartier. Les maisons sont fouillées pour récupérer les « trésors cachés » par les « anciens capitalistes ». Khuon accouche d’une petite fille malingre BeTi qu’elle regarde avec froideur, Lam abuse de Kien qui se taira.

Quelques personnages éclairent heureusement la vie de Kien: l’institutrice Mademoiselle San qui aime beaucoup son bon élève Kien, la cousine Moonlight tuberculeuse, amoureuse d’un fils de militaire sudiste et donc interdite de le fréquenter, la grand-père qui regarde les fleurs de cactus éclore à la lueur de la lune.

Réfugiés vietnamiens
Réfugiés vietnamiens fuyant Saigon à bord d’un porte-avions américain, 1975

 

1978 – 8 chapitres, 55 pages – Nha Trang
Une embellie vite éteinte

Pendant trois ans la famille vit de la vente des bijoux de Khuon. Mademoiselle San continue à être un rayon de soleil dans la vie de Kien. Elle lui donne des bons pour acheter livres et cahiers, pour se faire couper les cheveux. Comme Kien est son meilleur élève, elle le désigne comme porte- drapeau pour la commémoration de la Réunification. Mais Mademoiselle San disparaît et le Directeur nomme un autre porte-drapeau.

Marché vietnamien aujourd’hui
Marché vietnamien aujourd’hui

Khuon  loue un emplacement au marché où elle revend des denrées alimentaires, activité qui est bientôt interdite. Comment nourrir la famille ? Khuong traficote quand Dang, une amie qui les avait aidés dans leur tentative de fuite en 1975 reparaît et propose à Khuon une combine pour gagner de l’argent: convoyer de la marchandise depuis Saigon.  Elles seront rentrées dans cinq jours. Khuon donne un peu d’argent à Kien qui doit  permettre aux trois enfants et à leurs grands-parents de manger. Mais la grand-mère est hospitalisée pour sa jambe malade, le grand-père l’accompagne. La mère de revient pas le cinquième jour comme prévu, les enfants restent seuls affamés. Le neuvième jour, ils n’en peuvent plus mais leur tante refuse de leur donner à manger ou de leur prêter de l’argent. Comme Kien a pris trois patates chez sa tante, il se fait rosser par le plus violent des cousins. A bout de ressources, Kien décide d’aller voir Loan, l’ancienne nounou,  qui a épousé Tran, l’ancien jardinier, et vit à la villa Nguyen. Le chemin est long, il fait chaud, les trois enfants sont épuisés quand ils parviennent à leur ancienne villa, pour en repartir aussi affamés car Tran refuse que Loan les aide. Quand ils rentrent à la bicoque, épuisés, désespérés, leur mère est de retour et les emmène manger un bol de nouilles. Elle accuse violemment sa sœur de ne pas avoir secouru ses enfants, par jalousie, alors que tout ce qu’elle possède vient de Khuon. Kien, 11 ans, veut connaître le nom de son père. « Je déteste la vie que je mène ici, je veux que mon père me prenne un jour, chez lui, en Amérique ».

1980 – 1 chapitre, 4 pages
Vendeur de poisson

Kien aide « à bouillir la marmite en vendant du poisson au marché » mais comme il doit aussi garder Be Ti, 5 ans, qui ne tient pas en place, il l’attache à un poteau. Un jour, une jeune fille ayant un fort accent du Nord, détache Be Ti et se propose de la garder. Elle a des dents superbes et s’appelle Kim.

Marché de nuit à Nha Trang, 2013
Marché de nuit à Nha Trang, 2013
1981 – 16 chapitres, 87 pages – Nha Trang
Tentative de fuite

La grand-mère meurt. Mme Dang veut quitter le pays clandestinement et propose à Khuon d’emmener un des garçons. Kien qui a surpris la conversation rêve que sa mère le choisisse, elle a un mois pour le faire. Loan et M. Tran ont des ennuis : ils font l’objet dune enquête dans le cadre de la campagne de rectification contre les éléments réactionnaires au sein du parti. Mme Qui Ba, l’épouse du chef d’îlot, la mère de Kim vient faire une scène violente à Khuon, « la pétasse impérialiste » qui coucherait avec son mari.

En mars, sur la plage, une idylle s’esquisse entre Kim et Kien qui nage très bien.

Kien  part avec Mme Dang, de nuit, avec un passeur qui les conduit sur une île où ils attendent un navire qui doit les emmener en Amérique. Mais le navire ne vient pas, le canot est volé. Les fugitifs essaient de prendre le bateau de bûcherons qui travaillent sur l’île mais la tentative échoue, ils se retrouvent à

l’eau en plein Pacifique. Mme Dang ne sait pas nager et se laisse couler pour donner sa chance à Kien qui tente d’abord de la porter. Mais elle est repêchée sur une plage à Cam Ranh, à 70 km de Nha Trang. Kien ne réussit pas à convaincre les policiers qu’il s’est enfui de la maison. Il est torturé et envoyé au

Camp de rééducation PK 34, réservé aux criminels de la mer. Il est d’abord enfermé pendant un temps indéterminé dans un cachot collectif où l’eau lui arrive à la taille. Puis il doit travailler à renforcer les fondations des barbelés qui entourent le camp. Lam le reconnaît et l’appelle, il « pourrit dans ce trou depuis six ans » et accuse Khuon de l’avoir fait arrêter.

Boat people vietnamiens
Boat people vietnamiens

Le 15 mai 1981, trois jours après son 14ème  anniversaire et deux mois après son arrivée au camp, un miracle se produit : Kien reçoit la visite de sa mère qui a obtenu sa libération et il rentre à la maison avec elle. Moonlight, sa cousine est au plus mal, elle attendait Kien pour s’excuser de toutes les souffrances que sa famille lui a infligées et lui révéler un secret, l’adresse de son père en Amérique. Ce soir-là, sa mère lui en révèle le nom et Kien décide d’écrire à son père. Le lendemain, Moonlight est morte. Kien pourra retourner en classe grâce à l’appui de M. Qui Ba. Trois mois lus tard la lettre à son père lui est retournée : « Inconnu. Retourner à l’expéditeur ».

1984 – 3 chapitres, 26 pages – Nha Trang, avril 84
Visa de sortie

Après le retour de la lettre, Kien, 17 ans, perd espoir, la famille est très pauvre. Khuon vend les quelques meubles, les portes et fenêtres de la bicoque, elle se lève à l’aube pour préparer la soupe de poisson qu’elle vend au marché ; l’après midi elle  balaie le trottoir .Par chance, Kien obtient une bourse de 15 kg de riz et 150 dongs par mois dans un concours d’écriture. Mais il lui est interdit de passer le concours d’entrée à l’université à cause de ses « antécédents réactionnaires ».Conscient que son avenir est bouché au Vietnam, il pense de nouveau à partir et écrit des lettres à l’ONU, à l’ambassade américaine à Bangkok.

En avril, miracle, il reçoit une réponse de la coordination des ONG pour les réfugiés, lui expliquant qu’il peut bénéficier du « Programme des départs ordonnés » (ODP), prévoyant « l’accueil aux E-U de toute personne ayant pour ascendant direct un représentant des forces armées américaines ». Il faudra cependant remplir un formulaire et présenter un visa de sortie délivré par les autorités vietnamiennes.

Commence alors la chasse aux tampons et documents administratifs !

Septembre, saison des pluies, la misère de la famille s’accroît. Kim vient chercher Kien à la sortie des cours car elle a vu le grand-père en ville, dans une foule dense venue assister à la séance du tribunal populaire. Elle a peur pour lui qui  marche si difficilement. Le grand-père est renversé mais s’en tire sans trop de mal grâce aux jeunes gens. Loan fait partie des « éléments négatifs », jugée ainsi que son mari pour leur comportement dégénéré : elle est condamnée à quinze ans de travaux forcés et son mari à perpétuité.

Ce soir-là, Kien remet à sa mère le collier en or – cadeau de Khuong – que Loan lui a donné. Ce soir-là les passeports sont arrivés de Hanoï! Passeports vietnamiens

1985 – 7 chapitres, 45 pages – du 2 janvier au 28 mars

Au terme d’une course contre la montre, financée par la vente du collier, de démêlés avec les services administratifs, Khuon et ses trois enfants réussissent à prendre place dans l’avion qui les emmène en exil. Le grand-père est mort quelques jours avant leur départ.

 Epilogue de deux pages se terminant ainsi: « J’ai terminé la Nuit nous a surpris le 22 mars 2000, le jour où le monde a commémoré le 25ème anniversaire de la fin du conflit au Vietnam. Ce jour a marqué aussi la fin de mes cauchemars ».

Le témoignage de Kien Nguyen est terrible, d’autant que le narrateur ne se livre à aucun commentaire sur les faits passés, restitués selon le point de vue de l’enfant puis de l’adolescent. Le récit se compose de phrases courtes, de scènes dialoguées coupées par des ellipses. Les faits sont donnés dans toute leur cruauté mais sans pathos.

L’esprit de revanche, la haine, la cupidité s’emparent de la société. La corruption gagne, les fonctionnaires monnaient leurs parcelles de pouvoir. La haine et la violence traversent aussi les familles. On en sort secoué.

Pourtant les pages sont jalonnées de quelques moments d’humanité très émouvants, porteurs d’espoir.

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