Retour à la saison des pluies

Retour à la saison des pluies de Kim Lefèvre

Retour à la saison des pluies

« Le Vietnam, c’est un pays que j’ai aimé mais qui n’a pas voulu de moi, donc il n’y a pas de retour possible.1 »

Dès la publication de Métisse blanche, Kim Lefèvre se décide à se rendre dans son pays, quitté trente-cinq ans plus tôt. En 1990, elle publie le récit de ce retour impossible.
Ce n’est plus le même pays ni les mêmes gens. Un fossé s’est creusé avec sa mère et ses sœurs. « Ils étaient de races différentes, leur personnalité et leur culture constituaient un mystère l’un pour l’autre au fond ils ne faisaient pas partie de la même humanité. » Constat terrible de la distance qui s’est installée avec les membres de sa famille. Questionnée sur le sens du mot « humanité », elle s’explique : « Je l’emploie dans le sens colonial du terme, quand le colon qui se pense civilisé pose un regard de mépris sur le colonisé qu’il considère comme un sauvage. »
Pourquoi avoir mis si longtemps à y retourner ?
« On idéalise toujours son pays quand on est obligé de le quitter pour ne plus y revenir. […] C’est d’ailleurs pour cela qu’on a si peur d’y retourner. On a peur d’être déçu car la plupart du temps le pays qu’on garde en mémoire ne correspond plus à celui qu’on a sous les yeux. Ceci dit, il n’est pas nécessaire de se rendre sur place pour renouer avec ses origines. »

Extraits

Que c’est étrange une décision !
« Tous ces paysages à demi estompés qui forment la toile de fond de mon enfance et de ma jeunesse, tous ces lieux devenus flous avec le temps et l’éloignement ont acquis une valeur de mythe. Je vais bientôt les reparcourir. J’ai fait ma demande de visa, j’ai retenu mon avion, il n’est plus question de revenir en arrière. Que c’est étrange, une décision. La mienne, je l’avais imaginée comme quelque chose qui allait mûrir lentement, longuement, quelque chose de grave demandant à être minutieusement pensé, quelque chose qui possèderait sa vie particulière, qui grandirait progressivement jusqu’au jour où, entraînée par son propre poids, elle tomberait d’elle-même, inexorablement, fatalement. Ces conditions, il me semblait que je ne parviendrais jamais à toutes les réunir, si bien que le retour au pays où je suis née finissait, lui aussi, par rejoindre les mythes de mon imaginaire. »

Le durian
Le durian

L’odeur du durian
« Je me laisse emporter par le courant humain qui tangue parfois à gauche, parfois à droite. Je ferme les yeux tout en avançant, j’essaie de démêler l’enchevêtrement olfactif qui assaille mes narines, je tente d’identifier. Le bourdonnement des voix qui m’environnent me gêne, alors je me bouche les oreilles, je m’immobilise, je me concentre. D’abord, je sens fortement le parfum du durian, dont j’adore l’odeur, celle que les étrangers ne peuvent supporter. Ils disent que cela sent le pourri. Le durian est un grand fruit épineux dont les alvéoles abritent des quartiers de chair tendre et dorée. Il est très apprécié en Asie et coûte extrêmement cher. Le goût du durian est comparable à celui de certains fromages, le munster par exemple, on l’aime beaucoup ou pas du tout. Récemment, j’en ai acheté un que j’ai déposé dans la cuisine en attendant qu’il soit parfaitement mûr. Comme le fruit comporte une peau très dure hérissée de grosses épines, l’unique moyen de l’ouvrir est d’attendre le moment de sa maturité où il éclate de lui-même. Durant mon absence une amie française, incommodée par l’odeur, l’a pris pour un fruit en état de décomposition avancée et l’a jeté. »


1
Émission : Apostrophes 2012

Retour