Séjour de Anh Tu 2024
Journal de Anh Tu – Préfassienne 2024
Lettre de mars 2024
Me voilà ! Anh Tu est de retour !
Je me souviens de mon premier séjour en France en 2014 avec la bourse de Préfasse. Pour moi et pour d’autres Préfassiennes, ce voyage marque une ouverture bouleversante sur le plan éducatif, culturel et personnel. Et ce n’est pas la seule fois que PREFASSE et ses amis m’ont pris dans leurs bras, aussi en 2016 et en 2019 lors de mes formations pédagogiques qui sont sans doute motivées par le séjour de 2014.
Au cours de ces séjours en France, je ressemblais à une éponge, j’absorbais la langue, les connaissances, le mode de vie, les coutumes, les histoires de vie… Mon cerveau était tellement productif que je peux me rappeler dans quel contexte, avec qui j’ai appris un nouveau terme (« le foin » chez Jean et Marie-Ange), une blague (« à deux pieds » chez Serge et Bernadette), la vie d’un jeune couple mixte (chez chị Hà et Gilles), des spécialités régionales (la quiche lorraine chez Régine et Jean-Claude, Migliacci chez Marie-Jeanne en Corse, la fondue savoyarde chez Marie-France et Maurice), les plats faits maison qui méritent des étoiles (les gougères de Michèle Garlaschelli, le vin à la lavande de Patrick et Michèle)… (Oh non, je suis encore trop dans la gastronomie !). J’ai découvert le névé, les montagnes, les parcs, les fleurs, les marmottes dodues, les musées, le cinéma, le théâtre… Par votre biais, j’ai construit mon réseau de Préfassien.nes, celles qui sont pour moi les collègues du département, les frères, les sœurs, les amis et anciens professeurs (cô Diêp – ma prof au lycée, chị Hoai, chị Ngo Thu Huong, chị Phan Thanh Thuy, thầy Ngoc – mon prof en 2e année universitaire…). Vous m’avez présentée à votre conjoint.e, vos enfants, vos petits-enfants, vos amis. Beaucoup d’entre vous connaissent mes parents, mon mari, mon fils Mon. Mon lien avec PREFASSE n’est jamais interrompu grâce à la présence régulière de Régine, celle de Marie-Luce, de Jean-Pierre Tailleur et de Mai à Hanoï.
Cette année 2024, je suis la première Préfassienne à recevoir la bourse pour la deuxième fois. Le nouveau profil de la boursière me permet de retourner en France, de faire des recherches, de retrouver « mes familles », de me construire.
Quelle chance, quel honneur et quelle pression ! Avant le départ, j’étais stressée avec l’idée que 10 ans se sont écoulés, serais-je aussi prête et enthousiaste, aurais-je assez d’énergie pour le séjour ? L’âge et les expériences nourrissent la peur de l’incertitude, du changement. Mais ces soucis ont cédé la place à la soif de découverte et d’indépendance. Je n’ai aucune contrainte et je peux profiter pleinement de la richesse des documents dans les bibliothèques de l’Université Grenoble-Alpes, de la facilité de m’informer et de me cultiver. Être seule avec les livres ne m’ennuie pas, regarder travailler les étudiants et chercheurs m’encourage. Les cours d’interculturel que j’ai observés me donnent des idées sur une classe dynamique, active avec le professeur – « chef d’orchestre » qui guide et les étudiants – « musiciens » qui échangent les avis, rassemblent les idées, proposent les solutions. À côté des études, les sorties culturelles ne sont pas négligées : je suis allée voir un film, une pièce de théâtre et un concert depuis mon arrivée.
Lettre d’avril 2024
Le mois d’avril s’est très vite écoulé. Je maîtrise maintenant les étagères qui correspondent le plus à mon sujet, les endroits dans la bibliothèque où je peux passer la journée sans être gênée par le soleil, les coins dans le campus pour un déjeuner tranquille. Le retour à la vie d’étudiante m’enthousiasme. Au laboratoire GIPSA, j’ai fait connaissance avec les doctorantes (dommage, aucun garçon) de mon âge qui travaillent dans les sciences du langage. Mes directeurs de thèse m’écrivent de temps en temps pour avoir des nouvelles et j’ai recours à Régine quand je tombe sur un texte difficile. J’ai les soutiens matériels et psychologiques pour bien travailler.
Hors du travail sur ma thèse, j’ai beaucoup appris sur la culture, la société, l’histoire de la France, du Vietnam, des pays du monde grâce à des activités culturelles et des conversations avec Préfasse et ses amis.
La diversité des choix demande une documentation préalable des synopsis, des commentaires et critiques sur les expositions, les films, les pièces de théâtre, les danses, les documentaires à la télé. Comme cette année, le réseau des musées du Département de l’Isère se penche sur le thème du vêtement et de la mode, je suis allée voir des frous-frous des bourgeois aux sous-vêtements des petites gens. L’authenticité des habits exposés et l’habileté des couturiers (ou couturières dans la plupart des cas) donnent à ses expositions un charme incontestable. Par ailleurs, je découvre la télévision en « replay », grâce à laquelle on n’est plus dépendant du programme de télé et on a aussi l’accès gratuit à France TV via son site internet. Je suis contente de pouvoir regarder la télé française depuis chez moi à mon retour.
Malgré les préparations, les chocs culturels sont inévitables une fois qu’on s’expose aux arts. La nudité qui est relativement taboue dans ma culture se présente dans la peinture (l’exposition du peintre surréaliste André Masson au musée Pompidou à Metz), dans le théâtre (« Persona », l’adaptation théâtrale du film d’Ingmar Bergman), dans la danse (« Carcass », interprétée par une dizaine de danseurs portugais), dans le cinéma (la scène amoureuse d’Isabelle Huppert dans « Sidonie du Japon »). J’étais étonnée par les images mais j’étais encore plus émerveillée par la beauté du corps humain, la créativité et l’audace des artistes qui vont au-delà du voyeurisme et de l’érotisme.
Avant tout, je suis impressionnée par la notion de liberté dans le milieu artistique. Les artistes (réalisateurs, acteurs, chanteurs, danseurs) ont une grande liberté d’exprimer leur point de vue politique (« Nous ne sommes plus… » pièce de théâtre de la metteuse en scène russe Tatiana Frolova), leur identité de genre (Chanteur/danseur asturien Rodrigo Cuevas). Leur talent et leur envie de transmettre les messages au public sous plusieurs formes de spectacles dépassent la barrière de la langue, le sexisme, l’âgisme et des préjugés nationaux. J’ai apprécié la revendication des droits de femmes dans le film italien « C’è ancora domani » (Il reste encore demain) et j’étais indignée devant la cruauté de la société anglaise envers les femmes du peuple dans « Le Firmament », pièce de théâtre adaptée du livre de Lucy Kirkwood. Que ce soit au Vietnam, en France, en Italie ou en Angleterre… la pression sociale envers les femmes n’a jamais disparu. Mais chaque victoire des mouvements féministes pourraient en introduire une autre. Ma génération et celles qui nous suivent vont ajuster les inégalités.
Après les films ou les spectacles, souvent je poursuis le sujet en lisant sur leur contexte historique ou les personnes concernées. Les activités culturelles rajoutent et rafraîchissent mes connaissances et suggèrent d’autres recherches sur les sujets abordés. Avec mon métier de professeur, les idées retenues ne resteront pas pour moi seule, mais nécessitent d’être transmises à mes futurs étudiants. Certains extraits des films ou photos que j’ai pris pourraient donc servir comme illustrations pour mes cours de français et de Communication interculturelle.
Lettre de mai 2024
Mon séjour à Grenoble s’achève. Depuis une semaine, j’essaie de profiter de chaque moment. J’enregistre dans ma mémoire les rues que j’ai vues à travers la vitre du bus, les couleurs de la nature au printemps, les sommets de montagne enneigés ; le chant des oiseaux, les applaudissements à la fin des spectacles, le bruit du vent traversant les branches d’arbre, l’annonce de la fermeture des portes du tram ; l’odeur savoureuse de la cuisine de Régine, le goût de la première cerise du jardin, le moelleux du fromage sur une croute de pain croquante, le parfum des roses sur le chemin menant à l’arrêt du tram de Pont de Vence… Au début, les montagnes de Grenoble ne me plaisaient pas, je suis une fille de ville, des plaines. Mais pour contempler sa beauté, il faut monter dans les montagnes. Là-haut, le paysage est époustouflant. Le jour où mère m’a inscrit dans une classe de français, elle ne savait pas que cette décision pourrait m’emmener si loin de chez moi, si loin dans mon parcours scolaire et professionnel. Pour beaucoup de Préfassien·nes, le séjour marque un changement définitif dans notre vision du monde. PREFASSE nous a montré le goût du savoir, de la liberté, de l’indépendance. Nos séjours en France chez les membres de PREFASSE ont semé en nous plusieurs graines de succès et de bonheur dont les fruits se voient dans les lettres mensuelles de PREFASSE.
Qu’est-ce qui a changé en moi après 10 ans depuis mon premier voyage en France, après 3 mois depuis le début de ce séjour 2024 ? Mon bagage culturel s’alourdit, ma bibliographie s’allonge et surtout mon cercle d’amis s’agrandit. Mon séjour en 2014 m’a formé en tant que jeune professeure mais m’a aussi suggéré l’image de la femme que je suis aujourd’hui. Beaucoup de mes décisions actuelles doivent leurs origines dans cette première ouverture au monde. Ce séjour de 2024 me permet d’avancer dans ma thèse, de solidifier mes connaissances de langue et de culture. Mais mon plus grand « gain » est des rencontres et des échanges. Les retrouvailles avec les Cerva et la famille de Régine à Nancy, la visite de Marie-Jeanne venant de Corse étaient des belles surprises touchantes. J’ai revu toutes mes familles d’accueil en 2014 et fais la connaissance avec d’autres amis de PREFASSE comme Annie, le couple de Lan – Nicolas et le couple de Hien TRAN à Grenoble. Le repas d’au revoir avec vos présences nombreuses a accompli ma liste de rêves du voyage. Entourée d’amitié et de souhaits, retirée de mon chagrin du départ qui me hantait depuis une semaine, je suis prête à me lancer dans de nouveaux voyages.
Chers amis de PREFASSE, je vous suis infiniment reconnaissante de votre amitié et de votre soutien. J’adresse aussi mes profonds remerciements à Régine et Jean-Claude chez qui je suis logée, nourrie, accompagnée avec soin et affection tout au long du séjour. Vous m’avez montré qu’il n’y a de limite d’âge pour les savoirs et le goût de la vie.
Mes parents et mon mari expriment la gratitude la plus sincère à l’Association pour avoir pris soin de leur fille/de sa femme, pour votre gentillesse et votre générosité. Nous souhaitons vous voir au Vietnam !
Au revoir, Grenoble ! À la prochaine fois, PREFASSE
Anh Tu NGUYEN