Viet Thanh Nguyen

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Viet Thanh Nguyen (né en 1971 au Vietnam)

Né en 1971, à Buôn Ma Thuôt au Centre du Vietnam, Viet Thanh Nguyen a obtenu le prix Pulitzer en 2016 pour Le Sympathisant, son premier roman. Un exploit pour un écrivain d’origine asiatique !

Séchage du café à Buôn Ma Thuôt en 2012
Séchage du café à Buôn Ma Thuôt en 2012

Enfant, il est livré à lui-même par des parents immigrés vietnamiens qui travaillent tout le temps. Il trouve alors refuge dans les livres.
Dans les années 1990, c’est à Berkeley où il étudie l’anglais et les « ethnic studies » qu’il découvre le militantisme afro-américain. Il voit le moyen de « réconcilier [s]on désir de littérature et |s]on envie grandissante de justice sociale et politique, et de parler dans [s]on travail de [s]a famille et de [s]on expérience de réfugié. »
Il a d’ailleurs appelé son fils Ellison, en hommage à Ralph Ellison, l’auteur d’Homme invisible, pour qui chantes-tu ? ouvrage majeur de la littérature afro-américaine.

Le militant : promouvoir les artistes d’origine vietnamienne
Avec des amis, il crée Ink and Blood, qui deviendra, des années plus tard, le Diasporic Vietnamese Artist Network. Sa volonté est de « construire une communauté d’artistes vietnamiens partout dans le monde », notamment en France. « Nous commençons à publier des textes, et nous voulons aussi traduire en anglais des auteurs de la diaspora vietnamienne, comme la Française Line Papin. »
Dans le même esprit, il a aussi lancé la revue en ligne Diacritics.

Aiiieeeee

Il rend hommage à l’anthologie Aiiieeeee !. Publié en 1974 par les Howard University Press, la maison d’édition de l’université historiquement noire de Howard, ce recueil de textes d’écrivains d’origine asiatique est considéré comme le geste fondateur d’une communauté littéraire alors encore embryonnaire.
Ecrire devient, dès lors, un moyen pour lui de « rendre justice à l’histoire des réfugiés et du peuple vietnamien », ce qu’il fait dans Le Sympathisant.
Collaborateur des pages « Opinion » du New York Times, Viet Thanh Nguyen soutient publiquement nombre de jeunes auteurs amérasiens. Un sens de la communauté très fort : « Trouver des ancêtres et aider les plus jeunes, j’ai été éduqué dans cette tradition », affirme-t-il.

Il vit et enseigne à l’université de Californie du Sud.

Réflexions sur le métier d’écrivain lors de la remise du prix du meilleur livre étranger en 2017
L’apprentissage de la tristesse
« Il y a vingt ans de cela, j’ai commencé à écrire un recueil de nouvelles. Si j’avais su qu’il me faudrait dix-sept ans pour en venir à bout, et trois de plus pour le publier, je ne l’aurais peut-être jamais commencé. Dans ma naïveté, je me disais que je terminerais ces nouvelles d’ici deux ans, qu’ensuite elles seraient achetées et publiées, que je gagnerais des prix et que je deviendrais célèbre. Je savais vaguement, mais sans tout à fait comprendre, combien l’écriture exigerait de moi, à quel point elle me détruirait, à ma grande tristesse mais, au bout du compte, à mon plus grand profit d’écrivain. 
J’ai appris ce qu’était la tristesse en travaillant à ce satané recueil de nouvelles. Je ne savais pas ce que je faisais. Je ne savais pas, alors que je pâlissais doucement devant mon écran d’ordinateur et mon mur blanc, que j’étais en train de devenir un écrivain. C’était en partie une affaire de technique à maîtriser, mais c’était tout autant une affaire d’âme et une habitude de l’esprit. C’était accepter de m’asseoir sur cette chaise pendant des milliers d’heures, recevoir quelques maigres louanges de temps en temps, endurer la tristesse d’écrire en restant convaincu que malgré tout, malgré mon ignorance, quelque chose d’important se produisait. »

Ecrire ou « creuser un trou dans la roche épaisse afin d’atteindre une source »
« Le plus précieux, dans ces mondes des arts et des humanités qui sont les miens, est qu’ils laissent justement la place à ce type de réflexion lente et peut-être inutile. Et par là, j’entends que si nous aimons les arts et les humanités, ce n’est pas seulement pour les possibilités et les récompenses matérielles qu’ils peuvent nous donner, par exemple des prix littéraires. Non, nous devons les chérir parce qu’ils privilégient le mystère et l’intuition qui rendent possibles les moments de révélation et d’innovation. Je pense au romancier Haruki Murakami, pour qui écrire un roman est comme creuser un trou dans la roche épaisse afin d’atteindre une source. Accéder au mystère et à l’intuition exige beaucoup de travail; c’est aussi un pari, car rien ne garantit que nous trouverons cette source. »

Viet Thanh Nguyen en France - Août 2017
Viet Thanh Nguyen en France – Août 2017

Modestie et relativisme
« Bien sûr, j’ai eu de la chance et j’ai trouvé cette source avec Le Sympathisant. Son voyage hors de l’obscurité a commencé par l’obtention du prix Pulitzer. Mais mon roman aurait très bien pu ne pas l’obtenir et rester dans l’obscurité parce qu’il lui manquait un prix – même si d’avoir eu ce prix n’a rien changé au livre. Sa bonne fortune modifie le regard que lui portent les gens, et non le roman en tant que tel. Je pense à tous les autres romans qui auraient pu l’obtenir, ce prix ou celui du Meilleur Livre étranger, ou à tous ceux qui n’ont pas eu de prix, à d’autres époques, et qui auraient dû ou pu en obtenir. Certains de ces romans mésestimés, le temps le montrera, triompheront dans l’histoire de la littérature. Bref, les prix, et tout ce qu’ils symbolisent eu égard à notre goût, notre jugement, notre vanité et nos préjugés, sont éphémères. Ce que nous négligeons aujourd’hui, l’avenir, peut-être, le chérira. »

Encourager l’inutilité de l’écriture
« Reconnaître cette ignorance-là incite à l’humilité, et à la prise de conscience : ce qui paraît inutile, car non récompensé et non reconnu, se révèlera peut-être un jour des plus utile. Je remercie Sofitel et le jury de contribuer à la reconnaissance ce qui est assez utile pour recevoir un prix, mais aussi d’encourager, de manière générale, l’inutilité de l’écriture. Il y a vingt ans de ça, j’ai pris un risque en écrivant de la fiction, entreprise que beaucoup de gens peuvent juger inutile. A commencer, sans doute, par mes propres parents, commerçants réfugiés qui n’ont pas fait d’études et ont travaillé plus de douze à quatorze heures par jour presque tous les jours. Mais à leur crédit, ils ont ravalé leur scepticisme. Ils étaient aussi ignorants que moi de mon avenir, mais ils avaient foi en moi. Peut-être est-ce là tout ce que veulent les écrivains au début de leur voyage, que les autres aient foi en eux quand ils partent en quête du mystère et de l’intuition qui existent en chacun de nous. »

Viet Thanh Nguyen, invité du talk-show de Seth Meyers, le 9 février 2017
Viet Thanh Nguyen, invité du talk-show de Seth Meyers, le 9 février 2017

Bibliographie:
Le Sympathisant, Belfond 2017 / Poche 10/18
Les Réfugiés, Belfond 2019 / Poche 10/18
Jamais rien ne meurt : Vietnam, mémoire de la guerre, Belfond 2019 / Poche 10/18
The Committed, roman 2021 (non traduit)

Le Sympathisant, Les Réfugiés, Jamais rien ne meurt

Sources :
Discours de l’écrivain lors de la réception du prix du Meilleur Livre étranger 2017
Texte traduit par Clément Baude
Le Monde, 5 février 2021

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